Traces historiques / Armin Kane

Le premier récit est une sorte de prélude pour expliquer la position du quartier, son historique… Au début il y avait la caserne, ensuite le quartier est né. Ensuite il y a eu ce personnage mythique, Yaadikoone, qui a joué un rôle important pour les habitants. Et il y a eu aussi un cinéma où se retrouvaient tous les jeunes : le seul espace où ils pouvaient partager avec les autres et découvrir le monde. Tous ces éléments importants qui faisaient partie de Niaye Thiokers malheureusement n’existent plus…
Le deuxième récit s’articule autour de l’arbre, mais évoque aussi les origines des familles. Cet arbre représentait en fait l’arbre à palabres. Tout le monde pouvait venir. C’est autour de cet arbre que les gens se rassemblaient pour parler des problèmes du quartier… Quand tu comprends l’histoire de l’arbre, tu comprends l’histoire de Niaye Thiokers…

L’aspect social, l’aspect communautaire, l’aspect de partage qui existaient avant sont toujours là, parce que c’est une manière de pouvoir résister, de pouvoir continuer à penser que ces acquis ne doivent pas disparaître. On n’est pas dans cette logique de donner tout au développement. Même si nous n’avons pas assez d’espace, nous avons la possibilité de faire de l’élevage en hauteur, de partager tout avec les autres, de manger avec la main, de vivre en communauté. Cela n’existe plus tellement au Sénégal sauf dans des quartiers comme Niaye Thiokers. Et moi je crois fort que tout cela ne doit pas disparaître… Nous, en tant qu’artistes, devons travailler dans ce sens. Il faut faire rêver les gens, c’est la meilleure façon de leur donner la possibilité d’y croire ; parce que sans espoir il n’y a pas de vie…

Regard vers le passé

11’50 / 2018

Réalisé par Armin Kane

Niaye Thiokers est un vieux quartier né au début du siècle dernier. Nommé auparavant quartier Madeleine 1, du nom de la caserne située au même emplacement, il n’était à l’origine qu’une forêt où l’on venait chasser des perdrix, d’où le nom de Niaye (la brousse) des Thiokers (perdrix). Situé à la périphérie du quartier du Plateau, il a toujours été considéré comme une zone tampon.

Il s’étend de l’Avenue Peytavin jusqu’à la rue Armand Angrand (auparavant rue de l’Abattoir) et de l’avenue Blaise Diagne jusqu’à la Corniche Ouest de Dakar.

Durant la colonisation, cet espace a abrité trois compagnies de l’armée française :
– la caserne de l’infanterie de la marine française coloniale Madeleines 1, devenue ensuite Camp Gallieni.
– les bâtiments abritant les casernes des Spahis, nommés Madeleines 2
– les bâtiments de la télégraphie sans fil.

La majeure partie de ces bâtiments existe encore et abrite quelques ministères et services administratifs rattachés à l’État du Sénégal. Après l’accession du Sénégal à l’indépendance en 1960, la partie qui abritait la caserne Madeleines 1 a été rebaptisée Camp Lat Dior. Ce camp regroupera un corps de l’armée sénégalaise, l’École des Arts et ensuite le Collège Isaac Foster jusqu’à sa démolition à la fin des années 70 début 1980. Ce site qui se trouve dans le quartier de Niaye Thiokers devait abriter la Bibliothèque Nationale et la Maison des Archives du Sénégal. Les travaux entamés pour les fondations ont été exécutés à 100 % en 1999. Toutefois, lorsque le Président Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir en l’an 2000, il a bloqué les projets et délocalisé le site vers la gare ferroviaire.

L’un des premiers propriétaires de terres à Niaye Thiokers était un Lébou de Ouakam du nom de Baye Yakham Faye. Il a vendu les terres aux premiers habitants, tout en gardant pour lui une partie au milieu du quartier à usage d’habitation. Elle portera le nom de Roukhou yapp (le coin des viandes). Roukhou yapp était un taudis constitué de baraques anarchiques où s’entassaient de nouveaux résidents venus de la sous-région et de l’intérieur du Sénégal. Un espace cosmopolite où l’on vendait de tout : des brochettes de viande à la friture de poissons en passant par de la bouillie de mil, des beignets, de l’arachide grillée…

La majeure partie de ces habitants travaillait en tant que commerçant au Marché Sandaga et dans le Plateau appelé Laminasse (quartier européen ou quartier des riches).
Roukhou yapp deviendra, dans les années 1980-1990, la propriété de Aldiouma Diallo, petit fils de Samba Salla Diallo, avant d’être repris par l’État.

Les Sarakholés se sont aussi installés très tôt dans le quartier et ont participé à son indépendance économique et son épanouissement. Très solidaires, ils travaillaient dans différents secteurs : à la mairie, au port, dans la navigation, à l’usine de savon Petersen, s’engageaient dans l’armée ou émigraient en France.

En descendant de la Rue de la Somme vers les Dardanelles se trouvait, dans les années 1930-40-50, une place publique où, sous un grand arbre (daup en Wolof), se regroupaient les jeunes du quartier pour jouer et discuter… Par la suite, l’État y a construit une route et les habitants qui occupaient cet espace ont été dédommagés et obligés de déménager vers Pikine ou d’autres quartiers.

Le Crédit Foncier, société française spécialisée dans le crédit et la construction s’est installé à Dakar dans les années 20 et 30. Il proposait la construction de maisons de style colonial aux indigènes avec la promesse de devenir propriétaire après avoir acquitté la totalité du crédit. La seule condition était de donner son titre foncier en garantie. Blaise Diagne, député des colonies, avait pourtant averti les Lébous sur les risques sournois d’une telle transaction. Malheureusement beaucoup de propriétaires ont vu leurs maisons saisies pour n’avoir pas honoré leurs engagements. Les maisons récupérées étaient revendues à des tiers. Après les indépendances, beaucoup de ces maisons sont restées inhabitées, les Français étant repartis avec leurs titres de propriété. Des personnes en ont profité par la suite pour les occuper et même se les approprier.

Mbédou Bour kène momouko / Extrait

1’46 / 2016

Réalisation collective

Abdoulaye Armin KANE : Diplômé de l’École Nationale des Beaux-arts de Dakar en 1992, Abdoulaye Armin KANE est un artiste plasticien sénégalais, peintre, sculpteur et vidéaste. Il a participé à des résidences artistiques, à Bruxelles, à Madrid, au Mali, ainsi qu’à des expositions nationales et internationales à Amsterdam, à Rennes, à Dakar, à Casablanca, à Berlin, à Istanbul, en Italie, à Manchester, à Quito en Équateur, à Fez… Il a également participé à des workshops à Fort-de-France à l’Institut Régional d’Art visuel de la Martinique et aux Ateliers théoriques et pratiques sur la valise pédagogique et de l’art interactif à KER THIOSSANE à Dakar. Sélectionné à la 8e biennale de Dakar (Dak’Art 2008), il fait partie du collectif Studio KAKATAR, une structure qui s’active dans le domaine de la production et la réalisation de films d’animation. Il est animateur, depuis 2005, à l’atelier d’expression de la clinique psychiatrique Moussa DIOP du CHNU de Fann à Dakar pour les malades internés. Il est également intervenant extérieur à Ker Xaleyi pour les enfants autistes. Depuis 2014 il participe à un projet de laboratoire à Dakar et à Bruxelles intitulé Lieu commun.