Bass design : Artiste et artisan à Niaye Thiokers

Paroles recueillies par Cyril Mossé et son équipe / Dakar – 2018

Bass Design : Bonjour, je m’appelle Bassi, mon nom d’artiste c’est Bass Design. Je suis dans le quartier depuis que j’ai l’âge de deux ans. Je suis né à Kaolack. C’est ma grand-mère qui m’a récupéré à Kaolack pour m’emmener à Niaye Thiokers, et là j’ai fait mes études primaires. Puis, j’ai laissé le primaire à l’âge de douze ans pour apprendre la menuiserie et les autres métiers comme la mécanique, la tôlerie, beaucoup de métiers parce qu’il y a beaucoup d’ateliers à côté de Niaye Thiokers, surtout vers l’Ouest, je les côtoyais.

À l’âge de douze ans, j’ai fait un poste radio. Tout le quartier d’ici Médina écoutait. Tout le monde venait dans ma chambre. Depuis mes douze ans, j’ai commencé à bricoler. On m’appelle l’homme aux douze métiers, parce que je sais faire beaucoup de choses. Je fais la récupération, je peux prendre un couvercle pour mettre de l’argent.
Il y avait un commerçant qui était à Sandaga, il partait en Europe pour amener des haut-parleurs complets. Je me suis dit : « ah, je vais voir le commerçant pour lui proposer d’amener que les enceintes, le nécessaire, après je vais prendre le bois pour fabriquer des caissons originaux. » En essayant ça, j’avais plein de musique, les enfants venaient. C’est comme ça j’ai connu Méta (musicien international né à Niaye Thiokers). Il est venu, il a dit qu’il voulait faire la musique. Il est parti demander à ses parents l’autorisation, ses parents du coup me connaissent. Il me le confiait : « pas de problème, tu es notre voisin.»
À chaque fois, les gens commandaient les enceintes. Je réparais même les radios. Les petites radios : « Hé, Bass, viens réparer ! Amène ça à Bass, il va réparer ! » N’importe quelle machine, on me l’amène. J’avais les moyens de faire les caissons de baffles, d’avoir des bonnes tables de mixage,
Chaque année, on faisait les anniversaires dans le quartier, j’organisais des Set Setal. On part à la mairie, prendre des balais, prendre des petits pots, pour demander aux passants des voitures des petits sous pour bien organiser. Le soir on dansait, on organisait des podiums de rap. C’était un temps de rap. Il y avait Méta. Et là, je commence amener à Sorano, pour faire des instruments, les amener à la radio, avec Michael Souma (chef éditorial à Dakar FM), ils étaient des petits enfants. Il y avait des concerts en ville, je partais les inscrire, les amenais faire les premières parties.
Jusqu’à présent je prends mon balai, je vois les saletés et j’enlève. C’est normal je trouve. Dernièrement, j’ai organisé ça avec Les Petites Pierres (Maison d’édition de projets artistiques). Ils sont venus, ils nous ont aidés financièrement. Devant la mosquée, il y a un robinet, il n’y avait pas de carreaux. On a fait des carreaux. On a bien nettoyé la mosquée, des trucs bien. On a fait à manger pour toute la population, les enfants sont sortis, c’était nice quoi. On a appelé tout le quartier, on a amené des camions, dégagé tous les sachets, bien nettoyé. Ça se passe comme ça.

Là les jeunes de Niaye Thiokers ont dit qu’ils nous avaient donné plusieurs millions que nous on a mangé. Il y a d’autres gens du quartier, qui voient ça qui dit : « ah ! tu as vu, ils lui ont donné de l’argent, c’est pour ça qu’il a fait ça. ». C’est ça qui nous manque. Dès que tu fais quelque chose, on croit que tu as pris l’argent quelque part. C’est juste pour bien développer Niaye Thiokers. Mais je ne vais pas lâcher, je vais continuer, moi je ne lâche jamais. Je vais continuer à faire pour les jeunes de Niaye Thiokers, parce qu’on a des savoirs, et il faut transférer ça aux jeunes.

Malheureusement, je peux pas faire comme avant. Je voulais vraiment, mais je suis père de famille. C’est le temps… tu me vois, je vais de gauche à droite, on dit : « Bass ! », on a besoin de moi. Même pour mes propres projets, c’est dur. Ça fait des années que je travaille sans me reposer, boulot boulot boulot. Il y a des gens qui savent dire non, mais moi je sais pas dire non, je me repose pas du tout ! C’est depuis mon enfance.

Comme je t’ai dit : j’ai grandi ici, un enfant qui touche à tout. Là tu me vois je suis en train de modifier une moto Djakarta pour les handicapés. Je prends une moto, j’enlève tout le nécessaire, je les modifie pour faire un mobile pour les handicapés. J’en ai fait plein. Avec les mobylettes, les scooters, les motos, tous les handicapés de Dakar Plateau me connaissent. Dès que tu pars, « ah, je veux un pousse-pousse modifié », on te dit : « Va chez Bass ! » comme les voitures, d’autres aussi.
Ce qui m’a fait ça, c’est juste quand j’étais enfant, je côtoyais tous les ateliers qui étaient à côté de moi et ça, ça donne quelque chose. Tu as vu les capsules là, les capsules (de boisson gazeuse), j’étais le premier à le faire. Les capsules pour faire les sièges. A 18 ans, j’ai fait ça et maintenant ça s’est développé, les enfants se mettent à faire des ceintures, des capes, des peignes, c’est rentable pour la jeunesse.

Il y avait Pape Fall qui était là, il faisait de la salsa. Orchestra Baobab. Pape Fall, toute sa famille est née là-bas. Les enfants sont nés là. Avant, il logeait ici. Leur maison, c’était comme des maisons « collé-collé », et au milieu, il y avait des baraques avant. Un Libanais l’a acheté, et ils sont partis ailleurs. Mais ce sont des fils de Niaye Thiokers. C’est un quartier, quand tu es né ici, tu vas l’aimer, même si tu sors après tu dis : « ah »… tu aimes Niaye Thiokers.

Moi j’ai pris une location avec ma famille et j’ai mon atelier à Niaye Thiokers. C’est là que j’ai grandi, je ne connais qu’ici. Il reste une dizaine de propriétaires environ, car toutes les maisons sont presque vendues. C’est surtout les Libanais qui achètent, un peu des Sénégalais aussi. Les gens vendent parce que pour moi, ils ne savent pas. Si j’avais une maison à Niaye Thiokers, j’allais pas vendre. J’allais partir à la banque pour construire, un truc comme ça. Mais les gens sont dans la pauvreté, t’es obligé de vendre ta maison et aller chercher ailleurs. Ça se vend 300 millions, 200 millions (de francs CFA), ça dépend. C’est l’état qui devrait nous aider. Car il y a beaucoup de maisons qui n’avaient pas de papiers, comme la maison de ma grand-mère, quelqu’un est passé dessus pour récupérer ça.
Ce genre de truc là, y’en a partout à Dakar, tu entends des problèmes d’illettrisme. C’est l’état qui doit gérer ça. Aider les pauvres. Ceux qui ont vécu dans une maison 30 ans, 70 ans, c’est l’état qui devrait venir aider pour monter des dossiers pour que la maison leur appartienne un jour. Mais si tu es illettré, tu restes, quelqu’un vient, tu te fais avoir. Ça se passe comme ça la plupart du temps.

Là on est devant mon atelier. Quand j’étais jeune, il n’y avait pas de route. Il y avait juste un grand baobab. Et là, c’était en sable. Tu passais à travers les maisons pour être de l’autre côté. Mais maintenant il y a une route, ils ont délogé les gens. La route passe vers le Palais de Justice. Et ça me rappelle beaucoup de baobabs là. Il y avait un comédien qui était au Sénégal qu’on appelait « Sanokho », un bon comédien connu, il fréquentait ici. Parfois, il montait dans le baobab et il ne descendait pas. Il disait, avant qu’il descende, « il faut donner l’argent  », sinon il descend pas. Et tout le monde rigolait. C’était nice quoi vraiment. Ils ont enlevé le baobab pour faire la route.
On se retrouve vers le Palais de Justice. Avant tout ça, c’était des maisons. Il y avait des maisons coloniales, mais aussi des maisons de voisins. Là aussi, il y avait plein de maisons. Tout ça c’était des maisons. Je me rappelle, il y avait un tournage de film quand j’étais enfant, qu’on faisait à Niaye Thiokers, un tournage avec des blancs. Avec Ousmane Sembene. Je sais plus. Il y avait des acteurs qui venaient à chaque fois tourner des films. Je regardais, ça me plaisait, je fréquentais pour voir comment ça se passe.
Et là, c’est la même chose. Tout ça, c’était des maisons. C’est des nouveaux terrains. En face du Palais de Justice. Le terrain, on dit que ça appartient à des gens. L’État l’avait pris pour juste un usage public. Maintenant, ils ont tout délogé tout le monde. C’était au temps d’Abdou Diouf. Ils ont réalisé le tribunal : un tribunal c’est bon pour le quartier, ça amène la sécurité. Mais le reste, c’est qu’ils ont délogé les gens pour l’usage public.

Tu vois en face du tribunal, il y a un immeuble. Il y a une station devant aussi. Pourquoi une station ? Une station Total. Ce que j’aimerais, c’est que l’État prenne en compte Dakar, qu’ils mettent des arbres, des trucs comme ça. Je trouve que Niaye Thiokers, ça a changé carrément, parce qu’avant j’avais beaucoup de voisins et d’amis. Après l’état a pris la moitié de Niaye Thiokers pour mettre un tribunal pour un usage public, mais finalement il y a juste le tribunal qui est là, et tous mes voisins qui étaient à côté sont partis en banlieue, car ils ont donné des nouveaux terrains pour habiter là bas. Ça fait environ 25 ans environ, l’État avait pris ces terrains pour un usage public, et maintenant ils ont juste fait le tribunal, mais ils ont fait une station à côté, et ça, c’est pas un usage public. Le tribunal d’accord.
Ce que j’aimerais… Ici il y a beaucoup d’enfants et de familles. Ils n’ont pas là ou jouer. C’est sur la route. À chaque fois qu’on doit traverser la route, on est en danger. L’État doit prendre en compte les jeunes de Niaye Thiokers et Dakar Plateau, il faut récupérer ce terrain-là pour mettre au moins un centre social pour aider les enfants à apprendre l’Art. et d’autres choses. C’est l’État qui doit nous aider. Mettre des centres culturels, là où des gens comme ça ou d’autres peuvent apprendre aux enfants des activités artistiques. Il y a les enfants, nous, on a notre savoir, il faut le transmettre. Il y a un espace en face du tribunal. On pouvait mettre un centre social pour les enfants, on amène des artistes pour leur apprendre les petits métiers. C’est ça que je veux pour Niaye Thiokers, que je demande à l’État.

Quand j’étais enfant, d’ici la corniche vers Guethié (la mer), tout en haut de Dakar Plateau, après tu descends il y a Kussum. Il y avait des pêcheurs là-bas avec des pirogues, mais maintenant il y a plus de pêcheurs, car il n’y a plus de poissons. Ils ont quitté pour aller à Soumbedioune. Quand j’étais enfant, je marchais pour aller vers la mer, le matin pour aider les pêcheurs. C’est des bons souvenirs. Il y avait des petits poissons et là on remontait, passait dans le quartier…

On est là devant un immeuble à 5 étages. Cet immeuble, la maison de ma grand-mère c’était là. Maintenant j’ai 47 ans. J’avais deux ans quand je suis arrivé à Dakar. Ma mère m’a donné à ma grand-mère. Il y avait mes oncles qui étaient là-bas. Et d’autres gens qui quittaient le village pour apprendre un métier à Dakar. Il y avait des terres… on était une dizaine dans la maison et moi j’étais le plus petit. J’étais toujours souriant, j’avais pas de problèmes, j’étais pas turbulent. Tu peux m’envoyer 10 000 fois au marché, à chaque fois je pars, je me fatigue pas. On m’appelait Arboura. Un ange à cheval. Avec des ailes. Parce que tellement je suis rapide, tu me dis : « ah Bass, va au marché, cherche-moi ça ». Je pars je reviens. Je me plains jamais. C’était vraiment nice.

Cette maison-là, c’est un colon, un blanc qui l’a donné à ma grand-mère. Parce que son mari n’avait pas beaucoup de moyens financiers. Sa fille était malade. On l’appelait « Keurso ». Les sœurs qui aident les gens. Chez cette dame, j’ai oublié son nom, c’est elle qui a donné le terrain à ma mère. « Maintenant tu peux t’installer avec ta famille », et tout le monde est venu. Avant c’était des baraques. C’est les maisons en zinc, les zincs et les braglebas. Au fur et à mesure, la famille s’agrandit. Mon oncle a eu des enfants. D’un coup, ma grand-mère, sa fille l’a récupéré pour l’amener à Pikine, comme elle avait un peu d’argent, car il y avait mon oncle et sa famille, la famille s’agrandissait.
Quand j’étais enfant, je me rappelle que ma grand-mère m’avait donné les papiers des impôts, les papiers jaunes tapés à la machine avec des plans, des trucs comme ça. Mais un jour, ma grand-mère est décédée, on a cherché les papiers, on n’a pas trouvé. Tout est perdu, on est sans repère. Quelqu’un vient et dit : « cette maison c’est pour moi ». Et il a pris. C’était le temps d’Abdoulaye Wade, avec les problèmes de litige, l’état doit prendre ses précautions. Qu’il regarde bien les titres fonciers. Ça ne devait pas se passer comme ça.
Tu passes 70 ans dans une maison et un jour on renvoie toute la famille, on les fait sortir parce qu’ils n’ont pas l’argent, qu’ils sont pauvres, ne peuvent pas payer un avocat. Au début, j’avais les papiers. Je dirais malheureusement ou heureusement, je voulais me battre. Mais j’avais mon bras « coupé », je ne pouvais rien faire. J’ai les papiers d’avant, les mises en demeure qu’on nous avait donnés. J’ai ça avec moi. C’est même écrit « quitter ce lieu, cet immeuble ». En ce moment, c’était pas un immeuble, c’était une maison avec des ardoises. Il y avait les policiers qui étaient là, le quartier qui venait. Ils disaient : « c’est mieux de sortir, vous allez voir ça au niveau du palais de justice », et tout le monde s’est croisé les bras faute de moyen. Là ou j’ai fait toute mon enfance… Avant c’était une baraque, mais mon oncle a construit pour faire une maison comme ça, avec des ardoises, bien construit. j’ai des photos. Ma grand-mère décédée, elle a laissé ses fils et filles, maintenant ils ont loué en banlieue, ils payent leur loyer, des choses qu’ils n’ont jamais connues dans leur vie, donc c’est plus de misère.

Niaye Thiokers, c’est ça quoi. L’État devrait aider la population sur les problèmes de litige et regarder ceux qui n’ont pas les moyens et qui restent dans des maisons comme ça et essayer de gérer pour essayer de leur fournir des bons papiers pour que d’autres ne viennent pas prendre ça à leur place comme on a fait à ma grand-mère et d’autres gens. Parce que tu as une bagarre ici, y’a des gens qui voient des maisons et qui essayent de récupérer ça parce que tu es analphabète, tu connais pas. C’est l’État qui devrait venir voir la population pour demander leur avis, les aider.
Tout ça c’était des maisons. Il y avait aussi des immeubles, juste devant la station. Maintenant, c’est que des cars, et la station d’essence. Ça, c’est une nouvelle route. Là aussi, il y a le garage Lat Dior. Tu vois ce bâtiment au fond du garage, un bâtiment colonial militaire. Il y avait des logements militaires. Là-bas on l’appelait Camp Souf, là où il y a le sable. Il y avait plein d’arbres, un terrain de basket, de foot aussi. C’était immense, nice, vraiment, y avait l’espace, il faisait bon. Tous les enfants du quartier pouvaient aller jouer. C’est un petit paradis.
On est en face de la station. Il y a le Ministère de l’Équipement. Avant c’était l’École des Arts. On l’a transféré pour la mettre au bord de la mer. Il y avait beaucoup d’artistes, mais ils ont tout rasé et jusqu’à présent, il n’y a rien. C’est ça qui faisait Niaye Thiokers avant. Il y avait un terrain de tennis et des terrains de football dedans, c’était pour les gens. Et là, on partait dedans aussi, plein d’arbres fruitiers, il y avait des immeubles, là, derrière la station. Il y avait mes amis, on jouait, c’était nice. Tu as vu, ces roues-là, c’est récent, ça ne fait même pas un mois. Il y a des déchets partout.
Tout ça, c’est le derrière du Ministère. Là c’était calme, tu pouvais venir rouler à vélo, si tu voulais aller au camp militaire, tu n’avais qu’à aller par là et tourner. Là y’avait des immeubles… Là aussi y’avait des arbres fruitiers qu’on appelait wer wer. C’est là qu’on cherchait les petits oiseaux avec des lance-pierres, on sautait le mur pour aller de l’autre coté. Je jouais, je fabriquais des petites choses pour mettre là-bas. C’était beau.

Là, c’est une société de l’État. C’est rentable, je suis d’accord. Mais pour les autres qu’on a délogé, et qu’on a commencé à mettre des stations, il n’y a plus d’endroit pour jouer. Avant il y avait le stade Assane Diouf, mais maintenant les enfants jouent dans la rue. Quand j’étais jeune, il y avait trois camps. Y’avait beaucoup de terrains. Quand l’État a dégagé le camp Lat Dior, dégagé les habitants, ils ont laissé ça comme ça, des années, sans rien construire, sans rien faire. Ils ont enlevé les arbres, plein de bâtiments sans toits.

Il y avait les mécaniciens, qui étaient juste dans mon quartier, parce qu’il y avait un garage là-bas avant. Mais à un moment, le quartier ne pouvait plus supporter les cars rapides. Parce qu’ils descendaient juste l’autre rue vers la mosquée et c’était dangereux parce que c’était une petite montagne, ils descendaient et les gens travaillaient là-bas. Mais après les gens du quartier ont parlé et maintenant ils ont été dans le camp. Là où les bâtiments cassent. Moi aussi je suis passé par là, car je côtoyais les ouvriers pour apprendre le métier. Il y avait des tôliers, de la mécanique, électriciens. Tout le quartier passait là-bas pour jouer. Il y a des gens qui récupéraient ces maisons-là pour jouer. Y’avait le reste des terrains, et des gens qui récupéraient les maisons pour habiter. Finalement c’était le bordel, il y avait n’importe quoi là-bas.
C’était l’insécurité, un voyou, dès qu’il rentre dans le camp, tu le retrouves plus. Cette mauvaise réputation qu’on dit, je ne trouve pas ça dans les habitants de Niaye Thiokers, c’était les étrangers qui venaient. Dans ce camp-là, il y avait toutes les races, des Maliens, des Mandingues, etc. Les enfants du quartier allaient là-bas, les mécaniciens, les tôliers, chacun avec sa partie. Parce que tu as vu, tout ça, ça fait combien d’hectares ? C’est énorme. Dedans il y avait tout, le cinéma, vers la corniche, en plein air…
Avant que j’apprenne le métier, on partait pour manger le restant des militaires, on appelle ça graille. Y’avait aussi un camp de gendarmes. Là-bas aussi on partait prendre demander pour manger. Tu n’as même pas besoin de manger à la maison, tu es rassasié, y’avait plein de trucs, c’était nice. Quand ils ont délogé le camp, les militaires sont partis et les mécaniciens sont venus.

Là aussi, ils ont délogé l’École des Arts pour la mettre vers la corniche. De Kussum à Guéthie. Y’avait l’Orchestre National qui était là, c’est là qu’ils répétaient. Tous ces murs-là, il y avait des arbres fruitiers. On passait par là pour ramasser les fruits par terre, wer wer, c’est comme du tamarin, c’est blanc tu ouvres et puis voilà.

Là, on est juste à la rue Madeleine Ngom – prolongée quoi. On quitte juste vers la station pour aller là-bas. Là, c’était un passage aussi pour aller chez moi. Je vais saluer. Ça, c’est mon oncle. Et lui, c’est l’ami de mon tonton. Ils me connaissent. Ils m’ont vu grandir. Depuis le début. Tout était devant eux. Leur maison, c’est juste là-bas, je te montrerai sur le chemin.
C’était une grande maison avant, dans les petites ruelles qui partent tout droit où j’ai grandi. Tout ça, c’était un mur. Il y avait un camp. Parce que là, c’était la montagne, un ancien bâtiment colonial. Une famille l’occupait. C’était une maison harmonieuse, nice quoi, à l’aise, tu mangeais, tu jouais, y’avait des arbres dedans. Tu as vu, c’est large. C’est un énorme bâtiment à cinq étages. Là, c’était comme une cave, en bas. Je me rappelle quand j’étais enfant. À l’âge de sept ans, tu penses pas à ce que tu fais. Tu imagines un enfant qui met un long bâton dans son ventre, l’autre bout par terre, en train de courir, comme une perche. Et là, en haut, je suis tombé : maux de ventre, une histoire d’enfant. Avant, toutes les maisons étaient comme ça, des baraques.
Comme je te dis, c’est presque en face, je passais par là pour entrer ici, jouer aussi, il y avait un puits, des bâtiments coloniaux quoi. Toute ma journée je passais là-bas. Je mangeais là-bas comme a dit le voisin, tu manges partout où tu veux. Là, y’avait la maison des Casamançais, c’était des Dioula, il y avait des festivités. C’était en face de ma maison, parfois on organisait des communions. Tout ça, c’était des maisons, c’est ancien. C’était des Soninkés, des Maliens. Je parlais un peu soninké quand j’étais enfant, et aussi Fouta, j’avais des voisins du Fouta (Guinée).

Il faut avoir pitié de la population et des nouvelles générations. Nous qui avons un peu de savoir sur les trucs d’arts, de récupération, on peut former les jeunes, et ne pas laisser un jeune se fatiguer sans moyen. Il faut un centre de formation pour les jeunes à Niaye Thiokers. On devrait mettre des espaces verts quand même, des centres sociaux, pour la jeunesse. On a notre savoir. Beaucoup d’artistes sont passés par là, Méta, artiste international est là, Moussa Samba Diop, un grand artiste qui était le directeur des Arts, et tant d’autres. Il y a le savoir ici. C’est juste que l’état nous aide à améliorer le quartier. Sur ce terrain-là, qui est devant le tribunal. Maintenant, c’est plus un usage public. Ce quartier où j’ai passé toute mon enfance, il disparaît. Dans mes rêves, je vois pas la station. Je vois les immeubles comme ils étaient avant. J’ai jamais rêvé de ça.