Rencontrer le monde sensible / Rosa Spaliviero

(…) Mes recherches autour du patrimoine cinématographique sénégalais questionnent l’impact du cinéma sénégalais dans la mémoire urbaine de la ville de Dakar. Est-ce que le cinéma, comme l’architecture, peut laisser une trace dans le paysage de la ville ? Comment le cinéma peut-il réactiver des récits collectifs ? Puisque le cinéma conserve un patrimoine, peut-il nous faire revivre et repenser les histoires partagées, les espaces communs ?

Est-ce un hasard d’apprendre durant mes recherches, que Niaye Thiokers est le refuge du Leuk Daour, l’esprit de Dakar, dans la cosmogonie Lébou ? Mi-humain, mi-animal, il habite sur l’Île de la Madeleine, juste en face du quartier. Avec le vent, le soir, il vient se promener dans les rues de Niaye Thiokers, sous la forme d’un centaure… (J’ai cherché en vain une représentation du Leuk Daour. Je l’ai trouvé dans le court métrage d’animation de Karamba Dramé, Le sentier du Leuk Daour).

Le sentier de Leuk Daour

5′ / France / 2018

Réalisé par Karamba Dramé

(…) C’est surtout Djibril Diop Mambéty qui fait de Niaye Thiokers le coeur battant de son cinéma : il y tourne encore Badou Boy (1970) et Le Franc (1994). Ben Diogaye Beye, son assistant à l’époque, me confie que Mambéty était attiré par le chaos, l’inattendu, le possible, voire même la transgression et le désordre qui se ressentait partout dans ce quartier…

La poésie de cette petite poche urbaine de Dakar a inspiré son cinéma, et c’est ainsi qu’il a représenté la conscience collective des Sénégalais.

Badou Boy / Extrait

37″, 1970

Réalisé par Djibril Diop Mambéty

Badou Boy / Extrait

44″, 1970

Réalisé par Djibril Diop Mambéty

Rosa SPALIVIERO : Vit et travaille principalement entre Bruxelles et Lubumbashi. Elle est initiée aux cinémas africains à Maputo entre 2006 et 2010, en tant qu’assistante de programmation du Festival du film documentaire Dockanema dirigé par Pedro Pimenta. Productrice pendant 7 ans pour l’Atelier Graphoui à Bruxelles, elle s’intéresse aux formes documentaires et expérimentales du cinéma. Durant 3 ans, elle coordonne un programme d’échange entre artistes audiovisuels sénégalais et belges autour du « lieu commun » dans le quartier suspendu de Niaye Thiokers à Dakar. Membre fondatrice de Picha asbl, elle participe à la Biennale de Lubumbashi depuis 2008, en tant que chargée de production et curatrice de films. Elle produit des films en tant qu’indépendante, avec sa nouvelle structure de production Twenty Nine Studio & Production, fondée en 2017 avec son partenaire Sammy Baloji. Elle collabore également comme productrice, avec sa « grande sœur » Katy Lena Ndiaye, au nom de la structure IndigooMoodFilms, basée tant à Dakar qu’à Bruxelles.