Le Lieu commun est une association de mots qui nous permet de réinventer la réalité à travers le local, en recoupant passé, présent et futur de tout ce qui le compose. Ce sont des lieux à inventer, à s’approprier, où l’on peut faire bégayer le réel, y fabuler de nouveaux rapports à l’histoire et aux archives, fabriquer des personnages, de nouveaux mythes à partir de nos habitudes, faire émerger des mondes qui nous déconcertent et des perspectives qui nous concernent. Édouard Glissant dans son ouvrage Tout monde (1993) revalorise cette expression : il faut sortir le « lieu commun » du rôle qui lui est assigné, de l’enfer où notre culture occidentale semblait l’avoir définitivement relégué, pour lui restituer son beau sens étymologique de lieu, géographique ou mental, de rencontre et de partage, de communion (Tout-Monde, Edouard Glissant, Paris, Gallimard, 1993, p. 112)
Bien qu’il s’ancre dans des espaces urbains, ce projet n’interroge pas seulement le lieu physique, mais aussi l’imaginaire, la représentation, l’invisible, à la fois locaux et connectés au reste du monde. C’est une tentative de poser la question du commun en faisant émerger à la fois la singularité des points de vue et la permanence des évolutions du monde.
Le laboratoire regroupe des auteurs et des artistes sénégalais et belges qui prennent le temps pour explorer un lieu où se joue du « commun », c’est-à-dire un espace où une collectivité dessine ses contours et son inventivité afin de répondre à des enjeux du commun. Quelques problématiques se démarquent : la pollution, les politiques de logement, l’aménagement de l’espace public/privé, l’organisation sociale entre usagers, travailleurs et habitants, la spéculation immobilière, la mise en valeur d’un patrimoine immatériel…
Lieu commun n’est pas un thème, mais plutôt une démarche de travail, une recherche poétique pour sonder les mutations de nos environnements et de nos sociétés. Le lieu, les dynamiques qui l’habitent, son histoire et son contexte sont autant de matières premières pour la création. Les artistes sont invités à puiser dans leur créativité un imaginaire qui stimule la pensée critique, offre des narrations nouvelles, et produisent du savoir pour mieux comprendre nos sociétés.
Il s’agira moins de penser la ville comme une superstructure (ce qu’elle est), mais comme une production de sens dont les significations informent sur notre réalité sociale et politique, mais surtout nos imaginaires et nos projections ( Afrotopia, Felwine Sarr / Ed Philippe Rey, 2016, p. 140).
Toutes les formes et pratiques artistiques cohabitent. La forme audiovisuelle, étant pratiquée dans les deux structures porteuses du projet, s’impose comme la forme transversale aux différents médiums utilisés (dessin, peinture, écriture, photographie, son…). Cette transversalité est un atout pour favoriser la diversité des langages, des modes de création et de production.
Le projet assume aussi une dimension participative. Il s’agit d’ancrer le processus dans un lieu et de constituer un groupe perméable pour l’explorer. Ce groupe est aussi varié que possible : artistes, habitants, architecte, historien, sociologue, théoricien… ici tous considérés comme artistes. Ils font un travail de mise en forme qui manifeste un regard sur le monde et nous projettent dans l’avenir et l’imaginaire collectif de ce lieu. Tous sont porteurs d’expériences à échanger. L’idée étant de faire corps avec les notions de fluidité, d’amovibilité, d’impermanence, de possibles reconfigurations (…) et saisir le chaos organisé et ingénieux de la ville, qui fonctionne à sa façon, en comprendre les logiques et les significations, et l’articuler de la manière la plus efficiente. Laisser également (…) des espaces de créativité, inachevés, qui figurent des possibles… (Ibid p. 146).
À travers un travail de terrain, de réflexion et d’action, le projet vise à promouvoir une implication sociale de l’artiste. Le laboratoire débute fin décembre 2015. À ce moment, paraît un article dans Le Monde : une association d’architectes anglais, le collectif ASSEMBLE, reçoit le Prix Turner. Cette actualité est inspirante pour poursuivre la démarche à peine entamée, car l’artiste détient un rôle déterminant à jouer dans le dialogue avec sa communauté et le développement de la société.