Conversation avec Jacques Faton et Armin Kane / Dakar – 16 janvier 2019
Jacques : On nous a dit que vous aviez créé une page Facebook sur Niaye Thiokers, ça nous a évidemment interpellés. Pouvez-vous nous dire qui vous êtes, et comment ce projet est né ?
Issa Diallo : Je suis Issa Diallo, je suis âgé de 67 ans. Je suis natif de Niaye Thiokers. J’ai vécu en France depuis 1974 et je revenais régulièrement ici à Niaye Thiokers où résident tous les membres de ma famille. Donc l’idée de la création d’une page Facebook intitulée Niaye Thiokers, c’est simplement pour faire connaître et comprendre beaucoup de choses aux jeunes qui n’ont pas eu l’occasion d’apprendre l’histoire du quartier. Donc dans cette page, on y met les photos des anciens du quartier, des habitants du quartier, des événements du quartier…
Jacques : Où avez-vous trouvé des archives, et comment avez-vous fait pour les récolter ?
Issa Diallo : C’est ma mère qui a été la source de toutes ces archives. Elle gardait beaucoup de photos, elle avait un album de photos que j’ai pu récupérer. Moi aussi, depuis 1974, quand je venais en vacances j’avais mon appareil et je n’arrêtais pas de faire des photos dans le quartier…
Jacques : Donc il y a des habitants de Niaye Thiokers qui ont fait des photos dans le passé ? Les plus anciennes datent de quand ?
Issa Diallo : Les plus anciennes datent à peu près des années 1930. Il y avait des studios de photos éparpillés dans tout le quartier et dans Dakar, notamment on peut en citer : Mr Salla Casset qui était à la Médina qui détenait des archives vraiment exceptionnelles. Et dans le quartier, il y avait un Libanais du nom de Saffiedine qui faisait des photos. Nos parents avaient déjà l’habitude de collectionner des photos.
Jacques : Et ces collections se trouvent où, elles sont accessibles ?
Issa Diallo : J’avais ameuté les habitants du quartier de me faire passer des clichés, pour que je puisse les reproduire et les poster sur ma page Facebook… Personnellement j’ai récupéré quelques photos dans la valise de Maman qui n’est plus de ce monde. Donc c’est des trucs que je garde précieusement.
Jacques : Mais donc les photos qui sont chez le photographe dont vous parliez, c’est lui qui les a chez lui ?
Issa Diallo : Oui peut-être… Il y a eu une expo ici à Dakar reprenant des photos de Salla Casset… Bon, Saffiedine malheureusement je vois plus sa boutique. Je crois qu’il s’est reconverti, maintenant il est âgé, ses enfants n’ont pas pu prendre la relève… donc ils se sont éparpillés sur d’autres commerces.
Jacques : Donc il n’y a pas pour le moment une personne ou un lieu qui centralise toutes ces archives ?
Issa Diallo: Non, à Niaye Thiokers non. La dernière fois j’en avais parlé au chef de quartier et lui-même était ébloui de certaines connaissances que je pouvais détenir sur le quartier. Je voulais faire un reportage et sortir une brochure ou un livre sur Niaye Thiokers, mais pour le moment, ça ne s’est pas encore réalisé par manque de temps.
Jacques : Pour vous expliquer un petit peu notre projet : on vient de Bruxelles en Belgique, et on est ici à Dakar sur des lieux en mutation. Au départ, Armin nous a parlé de Niaye Thiokers et depuis deux ans et demi on fait des investigations dans ce quartier. Quand on l’a découvert la première fois, on y a trouvé une vie villageoise assez étonnante en plein centre de Dakar, avec des immeubles autour et la pression des promoteurs immobiliers qui essayent de récupérer les terrains…
Vous, quelle serait idéalement votre vision du futur de Niaye Thiokers ? Avez-vous une envie ou un souhait, ou peut-être un projet utopique ?
Issa Diallo : Malheureusement le futur de Niaye Thiokers est sombre. Moi personnellement je m’attends à voir ce quartier complètement métamorphosé. Les habitants sont obligés de vendre leurs maisons parce qu’il y a des spéculations immobilières et les grandes familles ne résistent pas à l’appât du gain. Dans les grandes familles il y a beaucoup d’enfants, il y a beaucoup d’héritiers, et la plupart des investisseurs viennent et proposent beaucoup d’argent. Dans certaines familles, en faisant le calcul on se dit qu’avec cet argent on peut chacun acheter une villa et être tranquille au lieu de concentrer toute la famille dans une toute petite maison. Les héritiers ne sont pas nostalgiques du quartier, voilà le problème de Niaye Thiokers.
Jacques : Donc des personnes comme vous qui ont une connaissance du patrimoine et de l’histoire de Niaye Thiokers pourraient avoir une vision que les autres n’ont pas. A Niaye Thiokers il n’y a pas que des anciennes maisons, il y a aussi toute une histoire : toute une série de films y a été tournée, il y a eu Djibril Diop Mambety, il y a eu des Présidents qui ont habité ici quand ils étaient jeunes, il y a eu l’École d’Art, il y a eu ces militaires français qui habitaient ici, qui sont partis après la décolonisation… Donc il y a dans Niaye Thiokers une particularité historique qui fait qu’on pourrait imaginer la création d’un lieu culturel qui centralise et conserve une sorte de mémoire patrimoniale… Est-ce que ça correspond à une hypothèse crédible ?
Issa Diallo : Vous avez énuméré beaucoup de choses qui se sont passées à Niaye Thiokers. Mais Niaye Thiokers est encore beaucoup plus riche que cela, je vais vous faire un scoop : l’hymne national du Sénégal, l’hymne a été interprété pour la première fois à Niaye Thiokers, au camp Lat Dior. Il y avait dans ce camp l’état-Major et la fanfare de l’armée sénégalaise. Dans notre jeunesse on était toujours devant la caserne pour la levée des drapeaux. Et aussi, le Parti Socialiste Sénégalais (PSS) a été créé par Amadou Assane Ndoye à Niaye Thiokers, avec un corse français qui s’appelait Charles Graziani. Il était le propriétaire de la maison où nous faisons actuellement l’interview. J’ai pu le rencontrer en Corse, on a beaucoup discuté…
Et encore plus scoop : il y avait une loge maçonnique à Niaye Thiokers, la quatrième loge après celle de Blaise Diagne… je ne vous citerai pas de noms parce que j’étais tout jeune. Avec ma curiosité, je montais derrière les escaliers, et regardais derrière les persiennes pour voir ce qui se passait.
Jacques : Il y a vraiment un problème : les résidents, les enfants passent complètement à côté d’un quartier qui a des particularités fortes. Tous les quartiers de Dakar n’ont pas cette même identité. À la limite, c’est l’ASC, le club de foot, qui représente le mieux l’identité. Bon, c’est formidable, ce sont les jeunes qui jouent… mais on ne peut pas ignorer tout ce que vous venez de dire.
Issa Diallo : Au temps de la colonisation à Dakar il y a eu une forte épidémie de lèpre. Tous les autochtones ont été relégués vers Gueule Tapée (quartier périphérique), vers la Médina. Et Niaye Thiokers a été une zone tampon, personne ne pouvait plus y habiter. Donc on y a mis les camps militaires, l’École des Arts… Des Sarakholés, des Soninkés, des Toucouleurs, des Sérères, sont venus habiter le quartier. Croyant dans le pouvoir de la religion musulmane, ils disaient qu’avec leurs chapelets il était possible d’enrayer cette maladie. La plupart des maisons appartiennent à des Soninkés. Je crois que Samba Salla Diallo a été un des premiers chefs de quartier… Et dans ce quartier-là, il y avait ce qu’on appelle Ngadié ou la plage des Madeleine, une des plus grandes plages de Dakar, mais les Lébous (pécheurs) ne pouvaient pas venir parce que c’était interdit. Les vigiles qui accompagnaient le PSS, la plupart des Soninkés habitant Niayes Thiokers, on les appelait les guerriers, les hommes braves de Niaye Thiokers… Mon père même était un militaire. Moi, je suis né dans le camp militaire et à un moment donné, ma maman n’en pouvait plus de tenir dans un camp. On a déménagé pour venir habiter à Niaye Thiokers.
Jacques : Quelles conditions il faudrait réunir pour qu’à Niaye Thiokers il y ait une initiative qui permette de maintenir cette mémoire et de l’exploiter ? Même les résidents seraient intéressés d’avoir accès à une mémoire. Si on ne fait rien, tout cela va disparaître…
Issa Diallo : Moi j’avais cette idée-là, mais je vivais en France et je n’avais pas le temps. Maintenant que j’ai pris la retraite, je suis revenu ici, je me suis dit que j’allais m’y atteler. Mais il faut créer une association, sensibiliser, informer, faire des projections, des réunions, rencontrer des personnes qui sont nées à Niaye Thiokers, mais qui actuellement habitent ailleurs… À chaque événement on voit des personnes qui reviennent par nostalgie, par amour du quartier… Bon, il faut trouver tout ça, il faut créer, c’est pas le travail d’une seule personne, mais c’est toute une équipe.
Jacques : Je connais dans d’autres pays toute une série de lieux où ce genre de mémoire et de circonstances ont amené des gens à créer cette sorte de lieu parce que c’est passionnant et que ça crée aussi une économie… à Niaye Thiokers on pourrait peut-être créer un lieu rentable. Quelle est votre position par rapport à cette notion de projet ? Est-ce que c’est difficile à mettre en place ? Il faudrait des gens, créer une association, trouver des fonds… c’est vraiment un boulot énorme, mais est-ce que c’est possible ?
Issa Diallo : En 2009, je me suis présenté à l’élection municipale de Dakar — Dakar Plateau. Mon projet était tout simplement d’être conseiller municipal au milieu des élus pour représenter Niayes Thiokers. Malheureusement on a perdu la bataille, donc je suis retourné en France. La richesse culturelle de Niaye Thiokers, ce n’est qu’un ensemble de personnes qui peuvent le faire. Moi tout seul, je sais qu’il y a une barrière, peut-être que pour le moment je ne me suis pas donné assez de mal pour approfondir… C’est la première fois que je parle de Niaye Thiokers, à part ma page Facebook…
À Niaye Thiokers il y a aussi un côté religieux que beaucoup de gens ignorent. Dans les années 1930, El Hadji Malick Sy, le Khalife général des Tidianes, a parlementé avec les autorités, pour bâtir des mosquées dans Dakar. À l’époque c’était un peu difficile de bâtir des grandes mosquées à Dakar. Il a eu l’aval du gouverneur et c’est là qu’il a construit la Zawiya qui est à Lamine Gueye ex-Maginot… à sa mort, son remplaçant, Seydi Ababacar Sy, a construit cette mosquée-là (du quartier) avec l’aval de Mr Aladji Cissé qui a offert le terrain, et c’est Seydi Ababacar Sy (grand érudit et fils de El Hadji Malick Sy) en personne qui est venu l’inaugurer. Quand Serigne Touba (grand érudit musulman) est venu à Dakar, il a passé deux jours à Dakar, une journée au camp Lat Dior et une journée à « Ker Serigne bi » (première maison construite à Dakar pour les gens de sa communauté). Donc il était tout autour de Niaye Thiokers. La famille Tall (Famille de El hadji Oumar Foutihou TALL, grand érudit musulman) a construit sa maison en haut vers le building administratif… et Serigne Fallou Mbacké (grand érudit et fils de Sérigne Touba) a construit une toute petite mosquée… Donc, on voit qu’il y avait ce côté spirituel qui planait dans le quartier… Tous ces érudits de l’Islam venaient habiter Niaye Thiokers en évitant les autres quartiers, ça voulait dire beaucoup de choses…
Il y a eu aussi l’École des Arts qui a formé beaucoup d’artistes qui ont habité Niaye Thiokers, dont Samba Laye Diop, un artiste peintre qui est décédé il y a deux ans en même temps que Joe Ouakam, qui était natif de Niaye Thiokers. Il y avait Famara qui était un architecte sorti de l’École des Arts, et Mor Faye dit Mora, le peintre fou, qui vient de Niaye Thiokers… Et vous voyez maintenant ce qui se passe dans les ateliers : une sorte de reproduction, de récupération, tout ça…
Il y a eu aussi une maison close à Niaye Thiokers. Il y avait la prostitution à Reubeuss qui était une prostitution de rue, mais à Niaye Thiokers c’était une maison close, parce que dans le quartier il y avait un côté puritain : on ne voulait pas que ça se passe. Cette maison close a été détenue par une dame qui s’appelait Madame Sy. On voyait des marins dans Dakar à l’arrivée des navires, ils quittaient directement le port pour venir à Niaye Thiokers… Il y avait une porte, ouverte…
Armin : Vous voulez parler de Quinta Loro (terme portugais) ?
Issa Diallo : Non c’est pas Quinta Loro, c’est la maison qui est juste à côté de celle où habite Oumou NDiaye… il y a la maison où habitait Adja Madeleine NGom, en contournant il y a la grande maison où il y a eu la fameuse mosquée Serigne Fallou, c’est la maison suivante.
Armin : Par rapport à l’évolution de Niaye Thiokers, il y a beaucoup de gens qui parlent de Niaye Thiokers d’une manière négative, pour dire que c’est un lieu de débauche, un lieu qui regorge de tous les malfrats de Dakar… Dans le temps, les gens de Niaye Thiokers ne voulaient pas être considérés comme des habitants de Reubeuss, parce qu’autour du camp militaire, il y avait des maisons de passe. Les gens disent que Niaye Thiokers doit disparaître parce que c’est un lieu mal famé…
Issa Diallo : Il y a eu beaucoup d’amalgames… C’est pas pour salir nos voisins de Reubeuss, parce que j’ai pas mal d’amis là-bas, mais il faut retracer l’histoire, Reubeuss à l’époque c’était l’endroit où il y avait des bars, et la prostitution dans Dakar, à Niaye Thiokers il y en avait, mais c’était une maison close, on ne voyait personne dans la rue. Il n’y a aucune maison ici à Niaye Thiokers où logeaient des prostituées, par contre Reubeuss, nous étant jeunes mulsumans, on dépassait un peu les règles : on allait là-bas pour boire un petit coup, boire de la bière, du vin, manger du porc parce qu’il y a certaines maisons qui vendaient le porc, c’était interdit… et aussi, dans notre jeunesse, « pour en trouver une » on allait là-bas à Reubeuss où il y avait beaucoup plus de Cap-Verdiens de religion catholique et pour eux c’était pas un tabou. Mais bon, ça a changé maintenant Reubeuss est devenu ce qu’il est, un grand quartier de Dakar.
Le mot Niaye Thiokers quand on l’entend c’est un mot qui sonne très fort, ça veut dire la « dune des perdrix », un endroit où à l’époque ces oiseaux émigraient parce qu’il n’y avait que des pierres, des rochers. Et les premières maisons ont été construites à Dakar ce sont ces maisons à tuiles rouges que vous voyez tout autour de Niaye Thiokers, qui à l’époque s’appelaient maisons CFOA (Crédit Foncier de l’Ouest Africain). Pour le reste les gens ont demandé pour une occupation domaniale de 80 ou 90 ans, ce qui veut dire qu’il y a certaines personnes qui ne peuvent pas vendre. Mais d’autres, plus averties, passent par l’administration pour trouver des papiers et achètent les maisons… Voilà l’histoire de Niayes Thiokers…
Jacques : Donc à votre avis pour que les choses bougent ici à Niaye Thiokers, il faudrait qu’il y ait une sorte de rencontre entre des gens comme vous qui se réunissent pour créer un lieu soit une bibliothèque, soit une médiathèque, soit un espace où on pourrait réunir une mémoire des archives… Que mettre en place pour maintenir cette mémoire vivante et pour ne pas perdre le côté historique et culturel très riche de ce quartier ? Ou est-ce qui faut se dire, bon tant pis, c’est comme ça et le laisser s’engloutir dans des projets immobiliers comme on en voit énormément… est-ce que de telles énergies sont imaginables ?
Issa Diallo : On a créé dans les quartiers ce qu’on appelle les ASC, ASC ça veut dire Association Sportive et Culturelle, pourtant le côté culturel est un peu négligé. Je souhaitais à un moment prendre la communication de l’ASC du quartier et être membre du côté culturel. Faire des ateliers, parler aux gens de l’histoire de Niaye Thiokers, à partir de là, créer une association et voir comment améliorer le quartier. Mais il y a une barrière qui est là : l’achat de ces maisons qui est à la portée des investisseurs. On ne peut pas empêcher une grande famille de vouloir vivre… Et leur expliquer qu’ils vendent le patrimoine du quartier, les gens ne sont pas tellement sensibles à cela.
Il y a un endroit qui est aussi patrimoine du quartier : c’est l’intersection où on a mis ce fameux totem (la sculpture de la perdrix à la croisée des chemins d’une rue du quartier)… Nous, quand on était enfant, garder un patrimoine c’était garder ce que nous avaient inculqué les parents. Et cet endroit, quand on était jeunes, on nous disait de ne pas rester là-bas sur les coups de 13 heures ou bien entre 18 heures et 19 heures… Aujourd’hui c’est devenu l’endroit où, avant d’enterrer nos morts, c’est là où on fait la prière, la prière ne se fait plus à la mosquée, personne ne se demande pourquoi…
Juste en face il y a une maison, la maison natale du chanteur Meta Dia, un grand chanteur connu au niveau international qui fait du reggae, qui fait des concerts… Cette maison était le Foyer de l’Enfance, où on recueillait les enfants métis de père libanais/mère sénégalaise (ceux des bonnes qui se faisaient engrosser).
Jacques : Pourquoi les gens vont prier là ?
Issa Diallo : Ben c’est un endroit mythique… et il y a une histoire qui narre le passage de Leuk Daour Mbaye qui était le génie de Dakar, qui après ses tours dans le Dakar-Plateau, passait par le quartier de Niaye Thiokers pour aller vers les villages Lébous de Gueule Tapée , Médina et autres… Et, comme on dit, il a laissé pas mal de progéniture dans ce quartier-là… d’où on dit qu’il y a quelquefois des séances de ndeup (cérémonie d’incantation aux esprits ancestraux) dans certaines maisons qui sont juste dans cet endroit. Donc l’histoire raconte que ça, c’est une réalité qui existe…
Jacques : Je comprends bien qu’on ne puisse pas facilement acheter un immeuble et se dire qu’on va en faire un musée… mais il y a quand même d’autres manières qui maintenant existent, par exemple la création d’un site sur Internet. Il y a un patrimoine immatériel qu’on peut créer autour de cette richesse, et, est-ce qu’il n’y a pas la nécessité de trouver des fonds pour créer cette sorte de bibliothèque réunissant des archives, ces photos dont vous parliez au départ ?
Armin : Si Niaye Thiokers n’a pas les moyens de créer un tel site, nous en tous cas le but à la fin de notre projet, c’est de créer un site Internet et d’y mettre toute la matière recueillie… Mais actuellement on est dans une utopie. Tout ce qu’on dit là c’est juste des souhaits, mais on sait pertinemment qu’avec le temps, les choses vont disparaître, puisque les gens ne sont pas sensibles à conserver le patrimoine…
Jacques : Vous faites un effort très particulier par rapport à cette création d’un Facebook, vous avez cette attention particulière, vous n’êtes peut-être pas seul…
Issa Diallo : Non, pour le moment je suis seul dans le combat… J’avais l’idée de faire une exposition de photos dans le quartier, il fallait passer dans toutes les grandes familles et demander les photos des anciens pour essayer de la réaliser… Une autre idée aussi était de créer ce qu’on appelle « régie de quartier » : un local où tout ce qui passe pour le quartier est concentré. Par exemple au lieu d’embaucher des gens pour balayer, la Mairie prend deux enfants du quartier, ils auraient tout le matériel, brouette, balais… on pourrait aussi inviter de temps en temps une assistante sociale ou bien une infirmière pour faire des vaccinations… mais quand vous dites ça, on vous dit que voulez prendre la place du chef de quartier… Voilà.
Armin : Tu vois, c’est compliqué…
Issa Diallo : C’est très très compliqué, les gens ne font pas confiance aux projets parce qu’on est tellement baigné dans la politique. Les gens vont dire : « Oh Issa, il nous emmerde avec ses idées, on va plutôt voir celui qui va donner 5000 ou 10 000 francs »… C’est la triste réalité, mais il faut quand même persévérer. Trouver un local c’est ça le problème, les gens se disputent les espaces ici, c’est en plein Dakar, on va faire le mécanicien, on va faire un atelier de tailleur… et le gars il va vous le louer à 300 000 ou 400 000 milles francs. Pour une association c’est pas possible.
Armin : Il y avait un jeune belge, Albert, étudiant à l’ERG (école de recherche graphique à Bruxelles), qui a imaginé un projet, ce qu’il nous fallait juste c’est un terrain… Il était prêt à chercher le financement, il était prêt à avoir toute la logistique, et on avait ciblé le terrain en face du Tribunal… Très déterminés, nous avons été soumettre le projet à la Mairie, notre souhait c’était de faire un espace public, un terrain et quelques espaces pour des restaurants, pour les jeunes du quartier. Mais la Mairie nous a dit que ce terrain n’appartient pas à la Mairie, qu’il appartient au Ministère du Patrimoine…
Issa Diallo : En fait, ça appartient à des particuliers. La construction du Tribunal c’était le projet du Président Abdou Diouf, pour ça, on avait déguerpi la communauté Cap Verdienne de Dakar et le camp militaire. Quand ils ont fait le découpage, ces gens se sont partagé le gâteau, tous ces terrains qui sont là, ils ont pu se les approprier. Après, lorsque le Président Abdoulaye Wade est venu, il a terminé la construction du Tribunal. Donc l’État n’y peut rien du tout, ça a été distribué.
Moi, pour faire ce projet, j’aurais bien utilisé la maison familiale qui est là, 6 rue des Dardanelles, mais le jour où je vais en parler, c’est toute la famille qui va me tomber dessus : voyez comme le « grand » est devenu fou ! Il revient avec des idées de France ! Voilà le problème… Il y avait aussi un endroit propice juste au niveau de la rue Madeleine Ngom c’était l’ancienne agence de la Société Générale, le propriétaire qui était un Européen est décédé sans héritiers, mais il y a eu une occupation sauvage des cars rapides, et donc c’est un endroit qu’on ne peut pas utiliser, il n’y a aucune place, c’est sale, c’est dégueulasse, et l’environnement est malsain.
Bon pour terminer, voilà, c’est Niaye Thiokers que j’ai brossé un tout petit peu, peut-être qu’en étant en association avec d’autres personnes déterminées, on pourrait sortir certaines choses, comme on dit, tirer les tiroirs et sortir les dossiers…